Patient 2050 : Axes de transformation et défis associés

Publié le 26 septembre 2019 Lecture 25 min

Prédire ce à quoi ressemblera le monde de la santé en 2050 est un défi de taille, pourtant les grandes tendances de l’innovation et certains signaux faibles permettent d’imaginer l’évolution probable de la condition de patient au cours des trente prochaines années. Afin de décoder les opportunités et les défis qui accompagneront la transformation de l’expérience patient en 2050, ALCIMED, société de conseil en innovation et développement de nouveaux marchés, a rassemblé lors d’une conférence à Paris six acteurs complémentaires du monde de la santé : Jonathan Ardouin, Directeur Général France chez LIVI, Vincent Galand, Expert E-Santé et Operations Manager chez EMBLEEMA, Raymond Gérard, Président de la Fédération Française des Diabétiques et de France Assos Santé, Jessica Leygues, Responsable Associations de patients et programmes institutionnels patients chez CELGENE, Denise Silber, Leader d’opinion en santé digitale, fondatrice de Basil Strategies et de Doctors 2.0 & You et Benjamin D’hont, Grand Explorateur santé numérique chez ALCIMED.

Entre médecine préventive centrée sur le patient et optimisation de la prise en charge

Le renforcement de la médecine préventive, voire prédictive, constitue un axe de transformation majeur dans la vie du patient d’ici 2050. En effet, l’application de l’intelligence artificielle aux données de vie réelle générées en continu par les dispositifs médicaux connectés du futur, pourrait permettre des diagnostics toujours plus précoces et une prévention ciblée pour les comportements à risque, tout en prédisant l’apparition de pathologies selon le mode de vie et les paramètres physiologiques de chacun. Certains acteurs du digital ont déjà posé les bases de ce scénario comme par exemple Apple, qui prévoit d’intégrer un glucomètre dans l’Apple Watch[1], ou AliveCor qui a mis sur le marché des capteurs sans fil pour réaliser un ECG avec son smartphone[2].

De plus, la prise en charge telle que nous la connaissons sera sans doute optimisée par de nouvelles technologies, au profit du confort du patient, de l’accès aux soins et de la qualité de ces derniers. La téléconsultation améliore déjà le quotidien des patients, selon Jonathan Ardouin, en leur évitant de se déplacer jusqu’au praticien et en diminuant le risque de contamination encouru lors d’une visite à l’hôpital. La démocratisation de cette technologie, l’arrivée sur le marché de dispositifs d’autodiagnostic et la robotisation de certains soins vont ainsi appuyer l’essor de la médecine ambulatoire et la prise en charge à domicile. Ainsi, Benjamin D’hont estime que d’ici une dizaine d’années, les patients pourraient par exemple utiliser une imprimante 3D pour concevoir leur attelle sur mesure (une startup lettone CastPrint propose déjà les premières solutions de ce type[3]).

Avec la mise en place du DMP (Dossier Médical Partagé), la prise en charge va également gagner en qualité car elle sera personnalisée. En effet, la centralisation des antécédents, allergies et de l’historique médical du patient dans un dossier digital, accessible à tous les acteurs du parcours de soin, permettrait à moyen terme, de personnaliser et donc d’optimiser la prise de décision thérapeutique.
En outre, les autorités de santé se reposent de plus en plus sur les données de vie réelle pour connaitre le parcours de soin des patients et avoir une mesure plus précise de l’efficacité des produits de santé. Des laboratoires comme Janssen, qui ont mis en place un « Datathon » constitué de spécialistes de la génération et du traitement des données, s’en servent également pour développer de nouvelles solutions sur différentes aires thérapeutiques. C’est dans cette perspective que s’inscrit le projet de la société EMBLEEMA, portée notamment par Vincent Galand : donner une plus grande voix aux patients dans le cadre sécurisé et transparent de la technologie blockchain, pour qu’ils puissent accéder et échanger leurs données de santé, notamment en vie réelle, au service de la recherche.

La digitalisation croissante des processus de prise en charge permet également d’envisager une simplification du parcours patient. Selon Benjamin D’hont, on peut ainsi imaginer que les médicaments ne soient plus dispensés à la pharmacie mais livrés par drone et que les flux de données vers l’assurance maladie soient accélérés via la mise en place du DMP.

Enfin, l’optimisation de la prise en charge passera sans aucun doute, selon Denise Silber par une première disruption sous l’impact de la réalité virtuelle thérapeutique qui remplacera certains traitements chimiques, puis la mise à disposition de nouvelles thérapies qui permettront par exemple d’éliminer les maladies génétiques, de pallier les handicaps physiques, de développer des sens sélectifs ou encore d’améliorer les capacités physiques et intellectuelles de l’Homme. En lien avec cela, chaque traitement doit non seulement être efficace mais aussi être adapté au style de vie du patient, selon Raymond Gérard. On observe d’ores et déjà le développement de nouvelles solutions thérapeutiques innovantes comme des modules de réalité virtuelle pour apaiser la douleur[4] ou des implants cérébraux pour traiter la maladie de Parkinson[5]. Pour Benjamin D’hont, on peut même imaginer à plus long terme que l’utilisation de ces derniers aille au-delà de problématiques médicales afin d’augmenter les capacités cognitives humaines par exemple. La cryogénie, ou plus globalement l’immortalité est selon Vincent Galand un enjeu essentiel pour beaucoup de prospectivistes de la santé, au même titre que le biomimétisme ou la médecine régénératrice.

Face à la transformation du système de santé, des défis technologiques, éthiques et sociétaux

Si ces évolutions probables de la condition du patient représentent des opportunités de développement pour les grands acteurs du secteur de la santé, elles soulèvent aussi des inquiétudes et de nombreuses questions techniques, légales, organisationnelles et éthiques.

Afin d’entrer pleinement dans cette nouvelle ère de la prise en charge patient, les industriels et les centres de soins devront en effet étendre leurs activités au stockage, à la gestion et à l’analyse d’un nombre massif de données personnelles de santé. Cette évolution impliquera sans doute une nouvelle répartition des rôles dans le système de santé; ainsi, selon Benjamin D’hont, les hôpitaux convergeront vers un modèle de centres de traitement des données de patients, où la réalisation de soins se limitera aux actes médicaux de pointe. Les médecins et soignants verront donc leurs métiers évoluer, ce qui soulèvera par ailleurs la question du partage de la responsabilité entre le médecin et le système d’analyse de données en cas d’erreur médicale. Aux côtés des professionnels de santé, l’industrie du médicament se transforme également et l’on devine déjà l’enjeu que représente la mise en place de systèmes d’information ultra-puissants telle que la plateforme Darwin de Sanofi. Celle-ci rassemble déjà les données anonymisées de plus de 300 millions d’individus et pourrait permettre entre autres de créer des modules d’aide à la décision thérapeutique[6].

Cet enjeu de modernisation s’accompagne également d’un défi majeur qu’est la cyber-sécurité au vu de la sensibilité des données de santé. Les grands acteurs du secteur devront donc s’assurer de l’impénétrabilité des systèmes régissant la gestion des dossiers médicaux partagés, des dispositifs médicaux connectés ou des implants biométriques et neuronaux. En cas de piratage, on pourrait imaginer un nouveau type de criminalité selon Benjamin D’hont, comme par exemple la prise de contrôle à distance d’un dispositif médical implantable tel qu’un pacemaker ou une pompe à insuline.

Une autre inquiétude soulevée par ces évolutions, et notamment la génération massive de données de santé personnelles, est liée à la question de la liberté individuelle et de l’équité du système de santé, selon Denise Silber. En effet, la mise en place d’une kyrielle de dispositifs médicaux connectés générant en permanence des données biologiques associées à des données comportementales implique automatiquement une surveillance permanente des individus par leurs médecins ou leurs assureurs. Dès lors se posent de grandes questions éthiques et sociétales : A qui reviendra la propriété de ces données de santé ? Comment éviter qu’au nom de la prévention et de la personnalisation des soins, les patients soient discriminés en fonction de leur état de santé ? Dans quelle mesure la prévention des comportements à risques pourrait-elle limiter le libre arbitre des patients quant à leur mode de vie ? On pourrait en effet imaginer la mise en place de plans d’assurance santé plus ou moins avantageux en fonction du comportement quotidien des individus, tracé par la consommation d’alcool, la glycémie ou le tabagisme. Afin d’éviter ces écueils et ne pas courir le risque d’un rejet total de ces progrès, les autorités devront mettre en place un certain nombre de lois qui devront servir de garde-fous. En tant qu’initiateurs et bénéficiaires du développement de ces nouvelles technologies, les grands acteurs industriels et les professionnels de santé ont tout intérêt à accompagner les autorités afin de réfléchir à ce nouveau système de santé.

Toutes les innovations technologiques à venir ne pourront atteindre leur plein potentiel que si elles se centralisent autour du patient et permettent de décrypter le ressenti individuel des personnes. La capacité des autorités et des industriels à prendre en compte à sa juste valeur l’expérience des malades représente donc un enjeu majeur afin de voir émerger une médecine réellement « personnalisée » d’ici les trente prochaines années. C’est d’ailleurs ce que prône la réforme « Ma Santé 2022 » au travers d’outils visant à recueillir l’expérience des malades. Ces outils ont été conçus par des patients et sont adaptés au système de soins, souligne Jessica Leygues.

La médecine prédictive, l’optimisation des parcours et des processus, et le recentrage du système de santé autour du patient sont déjà des réalités en 2019 permettant aux précurseurs d’imaginer le patient de 2050. Face aux doutes, questions mais aussi fantasmes ou utopies que révèlent ces idées pour le futur, de nombreux enjeux technologiques, éthiques et culturels attendent donc les autorités, les professionnels de santé et les grands acteurs de l’industrie. Ces derniers ont tout intérêt à explorer dès maintenant ces terres inconnues afin de garantir leur leadership dans la prise en charge du patient du futur.

[1] https://www.wareable.com/apple/apple-watch-diabetes-glucose-monitoring-guide-2018
[2] https://www.alivecor.com/
[3] https://www.forbes.com/sites/rebeccabanovic/2019/04/14/these-3d-printed-casts-from-latvia-could-be-the-future-of-healthcare/
[4] https://www.sciencesetavenir.fr/sante/e-sante/la-realite-virtuelle-le-nouvel-antidouleur_124813
[5] https://www.lexpress.fr/actualite/un-implant-cerebral-pour-guerir-de-parkinson_2040479.html
[6] https://www.sanofi.fr/fr/Actualites/communiques-et-dossiers-de-presse/Conseil-strategique

 

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