Énergie - Environnement - Mobilité

Et si atteindre la neutralité carbone permettait l’indépendance énergétique de la France ?

Publié le 29 août 2022 Lecture 25 min

Alors que la question du climat et de la production d’énergie décarboné est un sujet brulant pour l’ensemble des gouvernements européens, la crise sanitaire, les fortes instabilités géopolitiques récentes ainsi que la flambée des prix de l’énergie remettent également sur le devant de la scène la question de notre souveraineté énergétique. Ces deux enjeux fondamentaux pour notre avenir peuvent-ils aller de pair ? Et si la décarbonation de notre production énergétique était un levier pour atteindre plus d’indépendance énergétique ?

En atteignant la neutralité carbone d’ici à 2050, la France pourrait considérablement réduire sa dépendance énergétique

Pour assurer notre indépendance énergétique, il faudrait multiplier par 7 le parc photovoltaïque français afin de produire environ 70 GW, et par 2,5 le parc éolien terrestre actuel pour atteindre 50 GW et produire 22 GW d’éolien en mer.

Même si elle l’est moins que ses voisins européens, la France reste encore aujourd’hui fortement dépendante énergétiquement, puisque 65% de l’énergie qu’elle consomme provient de sources fossiles, dont plus de 99% sont importées.

Pour sortir de cette dépendance énergétique, mais aussi doubler la part d’électricité consommée et arriver à la neutralité carbone, RTE (le gestionnaire de réseau de transport français) a envisagé, dans son rapport « Futurs énergétiques 2050 » publié en 2021, différents scénarios de production énergétique. Tous s’appuient massivement sur les énergies renouvelables puisque d’après le gestionnaire de réseau, en 2050, le nucléaire ne pourra pas fournir plus de 50% de la demande d’électricité nationale. Pour assurer une indépendance énergétique, il va ainsi falloir considérablement développer la production d’énergies renouvelables, car même dans le scénario prévoyant la plus forte production nucléaire (50 GW en 2050), il faudrait multiplier par 7 le parc photovoltaïque français afin de produire environ 70 GW, et par 2,5 le parc éolien terrestre actuel pour atteindre 50 GW et produire 22 GW d’éolien en mer.


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Problème : développer les énergies renouvelables peut créer de nouvelles dépendances…

En effet, si la France semble bien partie pour assurer une grande part de sa production d’éoliennes offshore, puisqu’elle disposera d’ici à fin 2022 de quatre usines de premier plan parmi la douzaine présente en Europe, ses éoliennes terrestres sont aujourd’hui produites en dehors de l’hexagone.

De même, environ 80% des modules photovoltaïques mis sur le marché en France sont importés. S’il existe des entreprises françaises pouvant produire des cellules photovoltaïques, la concurrence asiatique et notamment chinoise fait rage et pousse les constructeurs français et européens à acheter des lingots ou des wafers norvégiens bas carbone pour les revendre à leurs fournisseurs de cellules situés en Asie, avant de réaliser l’assemblage puis l’installation en France.

… et l’approvisionnement en matières premières est également un caillou dans la chaussure de notre indépendance énergétique

Pour faire fonctionner ses 56 réacteurs nucléaires, EDF a besoin chaque année de 8 000 à 10 000 tonnes d’uranium naturel et 98% de ce combustible est importé hors d’Europe.

En ce qui concerne le marché de l’éolien, des terres rares (principalement le néodyme), dont la production est très majoritairement localisée en Chine, sont utilisées dans les systèmes embarquant la technologie des génératrices à aimants permanents. Cette technologie, aujourd’hui présente dans moins de 10 % du parc éolien terrestre français, semble pourtant privilégiée pour l’éolien offshore pour des raisons de poids et de compacité des génératrices, ainsi que d’efficacité et de facilité d’entretien.

Alors que de plus en plus de technologies embarquent des puces électroniques, la production de ces composants est devenue un enjeu majeur de souveraineté pour l’industrie française et européenne qui importent aujourd’hui 80% de ses semi-conducteurs d’Asie. L’interdiction de la vente de véhicules à émission non nulle en 2035 récemment votée par les eurodéputés, pose également des questions de sécurisation des approvisionnements pour le développement de la mobilité électrique qui embarque des terres rares et des métaux stratégiques.

Plus largement, des questions de souveraineté et d’indépendance énergétique se posent aussi au niveau des besoins croissants en métaux moins rares, comme le cuivre, matériau indispensable à nos infrastructures électriques, dont le marché est aujourd’hui largement dominé par la Chine et où 13 pays regroupent 75 % des réserves identifiées. La très forte volatilité de son cours constatée début 2022 donne des sueurs froides aux acteurs du secteur : forte hausse lorsque la guerre a éclaté en Ukraine et que la pandémie de COVID semblait maitrisée et laissait entrevoir une reprise forte et donc des tensions en termes d’approvisionnement, puis baisse sur le 2e trimestre alors que la Chine, premier consommateur également, voyait sa demande s’éroder.

Quelles sont alors les solutions pour concilier décarbonation et indépendance énergétique ?

Trois leviers semblent aujourd’hui privilégiés :

  • Tout d’abord, des infrastructures de production d’équipements (composants électroniques, batteries, etc.) et d’énergie décarbonée devront être développées sur le continent européen. Cela nécessitera la mise en place de nouvelles filières supportées par des investissements massifs. Pour aller dans ce sens, la France a par exemple débloqué 6 milliards d’euros pour doubler sa production de semi-conducteurs d’ici 2030.
  • Pour assurer notre indépendance énergétique, il faudra également veiller à sécuriser les approvisionnements des matières premières indisponibles en Europe. La relance d’une activité minière française et européenne « à faible émission », sujet récemment revenu sur le devant de la scène, est une piste pour limiter notre dépendance à certains métaux. Toutefois, une attention particulière devra notamment être portée à l’approvisionnement en terres rares puisqu’un « manque de diversification des sources d’approvisionnement et une hausse exponentielle de la demande d’aimants à haute performance créent les conditions parfaites pour des ruptures potentielles des chaînes d’approvisionnement » selon l’alliance européenne pour les matières premières (Erma), alors même que l’Europe ne dispose que pas, ou peu, de ces réserves de terres rares.
  • Enfin, des efforts d’innovation devront être fournis pour privilégier les technologies n’utilisant pas ou peu de ces matières premières, tout comme le développement d’une réelle filière de recyclage performante et propre.

A l’heure où la production d’énergie mondiale est mise à rude épreuve par des crises géopolitiques et sanitaires sans précédent, ainsi que par une forte inflation remettant en cause la rentabilité de certains projets renouvelables, de réels efforts doivent être fournis pour sortir la France de sa dépendance énergétique. La sécurisation des approvisionnements en matières premières et le développement de capacités de production et de filières internes innovantes, performantes et propres ne pourront qu’être bénéfiques au climat et à la souveraineté française et européenne.


A propos de l’auteur,  

Sébastien, Consultant dans l’équipe Énergie, Environnement et Mobilités d’Alcimed en France

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