Le paradoxe des matériaux critiques : ces matériaux difficiles d’approvisionnement qui échappent au recyclage

Publié le 02 juin 2020 Lecture 25 min

Depuis quelques années des voix s’élèvent pour dénoncer la dépendance géostratégique de l’économie française à certains matériaux. Plus étonnant encore, ces matériaux critiques pour lesquels la France a peu ou pas de ressources propres, ne sont quasiment pas sujet au recyclage. Pourtant, leur donner une seconde vie pourrait remédier en partie au problème de cette dépendance géostratégique. Alors pourquoi peine-t-on à mettre en place des processus de revalorisation de ces matériaux en fin de vie ? Quelles solutions commencent à émerger ? Retour sur le défi stratégique de revalorisation des matériaux critiques. 

Les matériaux critiques : qu’est-ce que c’est ?

 

Mais alors s’ils créent une dépendance d’approvisionnement, pourquoi ne les recycle-t-on pas ?

3 raisons majeures expliquent le manque de recyclage des matériaux critiques :

– Les difficultés techniques à les recycler notamment pour les matériaux composites (qui ont par nature une structure complexe)
– Les coûts économiques du processus de recyclage trop élevés par rapport à la valeur résiduelle du matériau
– Le manque d’obligation de valorisation

FOCUS SUR LES PROBLÉMATIQUES TECHNIQUES QUI FREINENT LE RECYCLAGE

Pour le recyclage des matériaux composites renforcés en fibres de carbone

Aujourd’hui, bien que différentes technologies existent (pyrolyse, solvolyse et vapothermolyse), les industriels utilisent majoritairement la pyrolyse. Cette technique est facile à mettre en œuvre, mais limite grandement les potentiels domaines d’application des fibres de carbone recyclées, car la taille des fibres est réduite par le broyage des pièces préalable à la pyrolyse et par la présence de résidus de résine. Il est donc aujourd’hui nécessaire de monter des pilotes industriels sur les technologies de solvolyse et vapothermolyse, afin de démontrer les capacités à surmonter le défi du recyclage des matériaux.

Pour le recyclage des piles et accumulateurs

Aujourd’hui, des techniques de pyrométallurgie, très énergivores, sont largement utilisées (pour le recyclage des cartes électroniques par exemple). L’hydrométallurgie se développe aussi, mais n’est pas idéale non plus du fait des solutions acides qu’il faut ensuite traiter. Le recyclage des piles et accumulateurs permet de récupérer des volumes considérables de zinc, de cobalt et de nickel, puis de le réinjecter dans beaucoup d’industries en forte croissance. Il parait important de progresser sur les taux de collecte, mais aussi sur les techniques de recyclage. La création d’une filière du cobalt secondaire est plus que jamais d’actualité avec le développement de la voiture électrique au détriment des voitures thermiques qui va faire augmenter les tensions sur la demande en cobalt et en lithium.

 

FOCUS SUR LA PROBLÉMATIQUE DE COÛT ÉLEVÉ DU RECYCLAGE

Pour les matériaux composites renforcés en fibres de verre, par rapport à la valeur résiduelle de ces matériaux

Les technologies existantes pour le traitement des composites renforcés avec de la fibre de verre visent à extraire et réutiliser le renfort fibre de verre tout en détruisant la matrice polymère. Or la valeur de la fibre de verre est largement inférieure au coût (économique et énergétique) de mise en œuvre des procédés de recyclage. Il est nécessaire d’envisager des voies différentes pour valoriser des quantités de déchets importantes à venir (éoliennes notamment) et limiter l’enfouissement ou l’exportation de pièces en fin de vie.

 

Afin de réussir le challenge du recyclage des matériaux critiques, trois voies sont à mener en parallèle

#1 : Le développement technologique des techniques de recyclage

De nombreux projets sont en cours actuellement sur le territoire national afin de mieux valoriser les matériaux critiques. Nous avons sélectionnés quelques projets emblématiques :

– Pour les matériaux critiques renforcés en fibres de carbone, Alpha Recyclage Composites (Occitanie) a choisi de mettre en œuvre la vapothermolyse. Le composite est  alors chauffé à la vapeur d’eau, la résine est décomposée de la matrice et les fibres de carbone peuvent être extraites. Cette technologie devrait permettre d’envisager des applications dans des secteurs comme l’automobile et l’aéronautique, car les fibres de carbone recyclées gardent 99% de leurs propriétés initiales.

– Pour le traitement des batteries, dans le cadre du projet UEX2, la SNAM (Occitanie) et le CEA ont développé un démonstrateur industriel capable de traiter et valoriser tout type de batterie li-ion rechargeable, projet de fort intérêt dans le cadre du développement de la mobilité électrique.

– Un enjeu important dans le recyclage des métaux critiques est la séparation des métaux afin d’obtenir des lingots de haute pureté. La start-up Ajelis travaille en ce sens. Elle a ainsi développé une technologie capable d’extraire sélectivement les terres rares en solution aqueuse.

#2 : Le développement de l’écoconception

Outre les projets autour de la fin de vie des matériaux, des projets commence à naître quant à la conception de nouveaux matériaux.

Arkema a contourné la difficulté du recyclage des composites en choisissant d’élaborer des matériaux plus facilement recyclables dès leur conception. On utilise habituellement une résine polymère bien souvent non recyclable. Arkema a donc développé une résine dépolymérisable. Le principe consiste à broyer grossièrement les pièces ; la résine est ensuite dépolymérisée à chaud pour pouvoir être récupérée et purifiée en une résine ayant les mêmes propriétés que la résine vierge. Pendant ce temps, les fibres de carbone ou de verre restantes peuvent être réutilisées. Cette résine est actuellement en phase de test sur des éoliennes avec des pales de 25 mètres.

#3 : Les obligations réglementaires

Aujourd’hui, les réglementations visant à imposer des taux de matières recyclées dans les nouveaux matériaux sont encore balbutiantes, à l’échelle locale ou européenne. Mais cela n’empêche pas certaines villes de lancer des initiatives de surcyclage. L’objectif du surcyclage est d’offrir une seconde vie à une pièce avec une valeur plus importante que dans le cadre du recyclage classique. Dans ce cadre, de nombreuses pales d’éoliennes ont pu être détournées en tunnels pour jeux d’enfants, en bancs publics à Rotterdam ou encore en abribus !

 

La collecte, l’extraction, et le raffinage des métaux dits critiques sont aujourd’hui complexes à mettre en place, mais des solutions émergent et se structurent. De nombreuses initiatives locales ou transnationales se mettent en place pour réduire la dépendance géostratégique de l’Union Européenne aux pays producteurs des métaux dont elle ne dispose pas dans ses sous-sols (projet European Battery Alliance), mais ces projets incluent encore trop peu d’initiatives concernant le recyclage. Chez Alcimed, nous sommes persuadés que pour que le recyclage des matériaux critiques puisse avoir un impact significatif et réduire la dépendance aux importations, une prise de position forte de la part des industriels s’impose : définir dans leurs cahiers des charges des taux minimums de matériaux recyclés ou encore intégrer systématiquement l’écoconception dans les phases de design sont autant de voies sur lesquelles s’investir, en avance de phase d’une législation qui ne tardera pas à s’imposer.

A propos des auteurs

Laurence, Consultante Senior dans l’équipe Aéronautique Spatial Défense d’Alcimed en France
Julia, Consultante dans l’équipe Santé et Politique Publiques d’Alcimed en France

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