Santé

Tensions et ruptures d’approvisionnement de médicaments : 5 facteurs d’augmentation des risques de pénurie

Publié le 28 octobre 2020 Lecture 25 min

La crise du COVID-19 a mis en évidence certains dysfonctionnements concernant l’approvisionnement du marché français en médicaments. Toutefois, ces tensions d’approvisionnement ne sont pas nouvelles et se sont multipliées ces 10 dernières années. En analysant l’historique des ruptures d’approvisionnement de médicaments, Alcimed a identifié cinq facteurs qui augmentent le risque de voir un médicament indisponible pendant une durée plus ou moins prolongée, localement ou mondialement.

Une chaine de valeur fragmentée dans la production de médicament

La production d’un médicament implique de nombreuses étapes, de la production de la substance active à la forme finale du médicament, puis son emballage. A l’heure actuelle, notamment pour les médicaments les plus anciens et génériquables, chacune de ces étapes est rationalisée au maximum afin de diminuer les coûts de production, et chaque étape peut avoir lieu dans un pays et même sur un continent différent. Cette fragmentation de la chaine de production à l’échelle mondiale multiplie les acteurs impliqués et donc les risques de rupture d’approvisionnement de médicaments. De plus, elle limite la lisibilité de la chaîne de valeur et donc la capacité à réagir en cas de problème.

Par ailleurs, pour diminuer le coût des médicaments, et ainsi contribuer à réduire les dépenses de santé, des stocks obligatoires par le passé ont été supprimés. Cela conduit à des approvisionnements en flux tendus. Dans ces conditions, toute augmentation subite de la demande, ou diminution soudaine de l’offre liée à un problème industriel ou logistique, se traduit par une pénurie de médicaments.

Une chaine de valeur du médicament mondialisée

Depuis les années 1990, certains pays ou régions du monde se sont spécialisés dans certaines étapes de transformation des médicaments, leur permettant de diminuer les coûts de transformation des étapes concernées. En revanche, cela a aussi provoqué une concentration géographique du savoir-faire et des équipements de production.

Une telle concentration rend parfois impossible la maîtrise complète de la chaîne de valeur. En 2017 par exemple, la décision de la Chine de suspendre l’approvisionnement en électricité de certaines provinces du pays afin de limiter la pollution, a ralenti la production de plusieurs usines et créé des tensions et des ruptures d’approvisionnement en amoxicilline dans le monde entier.

Le décalage entre la croissance de la demande et de la production aboutissant à des ruptures d’approvisionnement de médicaments

La demande mondiale en médicaments, tirée par les pays émergents, est en forte croissance. Face à ce constat, deux problèmes se posent :

  • Le premier, majeur, est celui des capacités de production qui augmentent certes, mais pas à la hauteur de l’augmentation de la consommation de médicaments. Alors que l’augmentation de la demande pour une molécule est généralement progressive, à mesure que le nombre de patients qui peuvent y accéder s’accroit, l’augmentation de l’offre se produit lorsqu’une nouvelle usine ou ligne de production est créée : elle se fait donc par pallier. Une telle dichotomie est évidemment un terreau propice à l’apparition de ruptures d’approvisionnement de médicaments.
  • Le second est lié à la logique de flux tendus précédemment évoquée. Il est de plus en plus difficile pour les laboratoires de prévoir les quantités de médicaments à produire compte tenu de la multiplication des pays à fournir et des patients à traiter.

Un exemple marquant de rupture de stock de médicament  liée à une augmentation de la demande est celui de la doxycycline. En 2014, cet antibiotique est resté introuvable en pharmacie en France pendant plusieurs mois. En cause : une demande croissante de la part de pays émergents, le principal fournisseur de matière première ne pouvait pas répondre aux besoins de tous.

Une augmentation des barrières règlementaires en cause dans les tensions d’approvisionnement en médicaments

Les règlementations et les contrôles relatifs à la production de médicaments sont de plus en plus nombreux et compliqués. Le scandale de l’héparine qui a eu lieu en 2008 est en partie responsable de cela : 81 personnes sont décédées aux Etats-Unis après avoir consommé de l’héparine importée de Chine mélangée avec un produit de contrefaçon.

Par ailleurs, les différents organismes qui effectuent les contrôles ne reconnaissent pas mutuellement leurs résultats. La législation française est, du reste particulièrement contraignante, ce qui amplifie d’autant plus cette problématique sur le marché français.

Ces contraintes réglementaires accrues élargissent et complexifient les process pour les laboratoires et peuvent considérablement allonger le délai d’accès au marché, même en période de rupture. Ces contrôles peuvent aussi conduire certaines usines à arrêter leur production après une inspection. Ainsi, en 2015, ce sont près de 700 médicaments génériques testés en Inde qui ont vu leur commercialisation suspendue en France puis en Europe. Ceci n’a pas engendré de pénurie mais un tel évènement crée évidemment un environnement qui favorise le développement de tensions d’approvisionnement en médicaments.

Des lois du marché qui dépriorisent certains segments et conduisent à des ruptures d’approvisionnement de médicaments

Enfin, les lois du marché peuvent créer ponctuellement des tensions d’approvisionnement en médicaments. La France, en imposant des prix bas par rapport aux marchés voisins, peut apparaître comme un marché secondaire. Sa rentabilité moindre par rapport à d’autres pays la dépriorise dans les orientations stratégiques de certains laboratoires, dans les périodes où un produit est en tension.

De plus, il arrive de voir certains acteurs cesser la commercialisation d’un médicament pour des raisons économiques ou stratégiques. Un médicament consommé par un nombre limité de patients qui a une marge faible peut rapidement devenir un poids dans un portefeuille, en particulier s’il faut moderniser régulièrement l’appareil productif. Les laboratoires restants doivent alors être suffisamment flexibles pour compenser cette réduction de production globale, ce qui peut amener à des tensions d’approvisionnement en médicaments. C’est le cas des médicaments à base de ticarcilline et d’acide clavulanique. Après des années de difficulté de production, en 2020, le seul laboratoire fournissant le marché français a arrêté la commercialisation de sa spécialité. Même s’ils ont trouvé un repreneur, le médicament devrait être indisponible pendant un certain temps.

Ainsi, la chaine de production et d’approvisionnement fragmentée et mondialisée, la non synchronisation de l’augmentation de la demande mondiale et de la production, l’alourdissement des contraintes réglementaires ainsi que la baisse de rentabilité de certaines molécules sont autant de facteurs qui favorisent et/ou aggravent les tensions et ruptures d’approvisionnement de médicaments en France. Connaissant ce diagnostic, il s’agit désormais de trouver des solutions pour limiter ces tensions, ou des stratégies pour limiter l’impact de ruptures d’approvisionnement de médicaments. Un sujet stratégique que nous traiterons dans un prochain article, alors restez à l’écoute !


A propos des auteurs

Grégoire, Consultant dans l’équipe Santé d’Alcimed en France
Alice, Responsable de Mission dans l’équipe Sciences de la Vie d’Alcimed en France
Christelle, Responsable de Mission dans l’équipe Sciences de la Vie d’Alcimed en France

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