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Technologies CCUS : le CO2 comme ressource ou déchet ?

Publié le 12 mars 2020 Lecture 25 min

Carbon Capture, Utilization and Storage, ou CCUS : un concept dont tout le monde parle aujourd’hui ! Entre le U de utilization – pour réemployer le CO2 comme intrant dans l’industrie – et le S de storage – pour le séquestrer dans le sous-sol – il y a toutefois un grand écart. Bien sûr, ce sont là des voies complémentaires à certains égards, car toutes les sources de CO2 possèdent des spécificités qui peuvent rendre plus adaptée l’une ou l’autre approche. Mais derrière ces deux solutions, il y a là deux visions bien distinctes de la réduction de l’empreinte carbone. Alcimed vous livre quelques pistes de réflexion.

Les promesses du CCUS dans les secteurs de l’énergie, de la chimie et de la construction

D’un côté, il y a le CCU : on réemploie dans l’industrie le CO2 émis… par l’industrie. Une réalité depuis de nombreuses années ! Ce qui change, c’est que de nouvelles technologies permettent désormais d’envisager la capture économiquement viable de CO2 issu de sources plus « diluées » comme celles d’une cimenterie ou d’une raffinerie, voire la capture de CO2 atmosphérique, via la technologie dite de « Direct Air Capture ». Et surtout, des débouchés prometteurs sont en train de voir le jour, dans les secteurs de l’énergie, de la chimie, de la construction.

De l’autre, on retrouve le CCS : on capture le CO2, non pas pour le réintroduire dans l’industrie, mais pour le séquestrer purement et simplement dans le sous-sol. Il existe en effet des sites géologiques hermétiques – des aquifères salins profonds ou d’anciens sites pétroliers notamment – où l’on peut stocker du CO2 sans crainte de le voir réapparaître à la surface pour au moins un bon millénaire, pour peu que le site soit convenablement choisi et l’opération contrôlée.


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La chaîne de valeur du CCUS par Alcimed

Le CCS : un levier incontournable pour la neutralité carbone ?

Renversons maintenant le point de vue. Stocker du carbone et ainsi le « supprimer » de l’atmosphère, voilà de quoi nous aider à atteindre les objectifs de la COP21 pour endiguer le réchauffement climatique. En mai 2019, le Committee on Climate Change britannique reconnaissait même que pour parvenir à l’objectif de neutralité carbone en 2050, le CCS était « une nécessité, pas une option » [1].

La bonne nouvelle, c’est que les capacités de stockage sont gigantesques. On estime à environ 10 000 milliards de tonnes [2] la capacité de stockage de l’ensemble des aquifères salins de la planète. Cela représente 300 ans de stockage si les émissions de CO2 restent au niveau de 2019 (33,3 milliards de tonnes de CO2 issues de l’usage de ressources fossiles et de l’industrie [3]).

Les grandes compagnies d’Oil & Gas ont bien compris que derrière le défi de la neutralité carbone, il y avait un business model en devenir. Ainsi, derrière tous les grands projets européens de CCS, on retrouve un grand acteur de l’Oil & Gas : Energie Beheer Nederland (EBN) pour Rotterdam CCUS, Total pour « DMX (TM) Demonstration in Dunkirk » (3D), Shell, Total et Equinor pour le projet « Northern Lights » en Norvège.

Il reste cependant des barrières à lever. Elles sont d’abord économiques, car pour la plupart des sources de CO2, le coût de la capture et du stockage est encore bien supérieur au coût des taxes carbone. Elles peuvent aussi être réglementaires, car certains accords limitent le transport de CO2 d’un pays à l’autre. Et surtout, des inquiétudes sociétales, loin d’être illégitimes, persistent vis-à-vis de la durabilité d’une technologie qui, pour beaucoup, évoque l’enfouissement des déchets.

Entre coûts élevés et manque de débouchés, une route encore longue pour le CCU

Une autre solution résiderait dans le CCU. Ne nous arrêtons pas sur l’utilisation du CO2 pour gazéifier les sodas ou autres utilisations directes du CO2 avec des temps de relargage très courts dans l’atmosphère. Ce sont plutôt les nouvelles technologies de conversion du CO2 qui façonnent l’avenir. Dans le secteur de l’énergie par exemple, le CO2 peut rentrer dans la synthèse d’hydrocarbures comme le méthane ou le méthanol. On peut aussi utiliser le CO2 en chimie, comme réactif de synthèses organiques, pour produire des polymères et des carbonates inorganiques. Ou encore, on peut l’utiliser pour fabriquer des matériaux de construction et accélérer le durcissement du béton.

Toutes ces technologies sont éminemment prometteuses, mais quand il s’agit « d’absorber » les émissions de CO2 de l’industrie, deux problèmes se posent : d’une part celui des coûts, car faire du méthane de synthèse à partir de CO2 et d’hydrogène vert est encore bien plus cher que d’extraire du gaz naturel ; d’autre part celui des débouchés pour absorber les volumes, car dans la chimie du CO2, les débouchés ne sont pas illimités. Certaines projections ont d’ailleurs montré qu’en valorisant en bicarbonate de sodium le CO2 d’une grosse usine de bioéthanol, on dépasserait les besoins du marché français en bicarbonate de soude !

Le CCS reste la solution pour absorber de grandes quantités de CO2-déchet. Autrement dit, s’en débarrasser comme on le fait avec les effluents d’une usine. C’est un pas vers la neutralité carbone probablement nécessaire pour endiguer le réchauffement climatique. Mais avec le CCU pourra advenir une véritable « économie circulaire », où le CO2 émis sera une ressource. Pour se développer, le CCU a donc besoin d’efforts de recherche pour perfectionner les technologies, de mécanismes d’incitation pour les rendre économiquement viables, et surtout d’une transformation de notre rapport aux ressources fossiles, qui permettra enfin à la « chimie du CO2 » de gagner du terrain sur celle du pétrole.


A propos de l’auteur,

Thibault, Consultant Senior, Alcimed Paris Industries

[1] Net Zero – The UK’s contribution to stopping global warming. Committee on Climate Change, May 2019.
[2] Leung et al, 2014.
[3] Defying expectations of a rise, global carbon dioxide emissions flatlined in 2019. 11 February 2020.

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