Délivrance des macromolécules par voie orale : les big pharma poursuivent la quête du Graal

Publié le 19 octobre 2018 Lecture 25 min

Représentant 9 des 10 produits générant le plus de revenus sur le marché, les médicaments biologiques sont aujourd’hui sans conteste le pôle de croissance pour l’industrie pharmaceutique. Les big pharmas cherchent non seulement à étoffer leur portefeuille avec de nouvelles macromolécules mais aussi à se différencier en proposant des voies de délivrance moins invasives que l’injection pour leurs blockbusters. La voie orale, considérée de longue date comme le Graal, est investiguée depuis des années dans cette optique. Comment les acteurs du marché se positionnent-ils dans cette course ? Alcimed, société de conseil en innovation et développement de nouveaux marchés, revient sur les enjeux qui ont accompagné et accompagnent encore ces développements.

Depuis février, Novo Nordisk a commencé à égrainer les résultats positifs des 10 essais cliniques PIONEER qu’il mène pour démontrer la supériorité de la forme orale de son semaglutide, un analogue de GLP-1 utilisé pour traiter le diabète, par rapport aux versions injectables de ses concurrents. Ces résultats en font le véritable pionnier de la délivrance par voie orale de macromolécules mais la quête, entamée il y a plusieurs années, n’est pas encore aboutie.

Des débuts difficiles pour lever les verrous techniques et économiques

Les recherches sur la délivrance de macromolécules par voie orale se sont longtemps cristallisées autour de l’insuline. Cependant, le manque de stabilité des grosses molécules dans le système digestif ainsi que la difficulté d’absorption pour atteindre la circulation sanguine a rendu ces développements infructueux. En effet, pour contrer ces barrières et être efficaces, les macromolécules par voie orale doivent être fortement dosées, entrainant un double problème :
– Médical : le risque de toxicité est élevé car l’absorption est très variable entre les individus et en fonction des autres éléments ingérés.
– Economique : la quantité de principe actif à produire est très importante, rendant le traitement peu rentable au vu de la pression sur les prix que les états imposent aux industriels afin de maintenir la viabilité de leurs systèmes de santé.
Cette dernière raison a poussé Novo Nordisk, investisseur pionnier dans le développement de formulations orales, à arrêter en 2016 le développement clinique de son insuline par voie orale malgré un investissement conséquent et des résultats de phase 2 positifs.

Les premières promesses timides de prochaines mises sur le marché

Cette expérience infructueuse a retardé l’investissement des big pharma dans le développement d’une formulation de l’insuline, laissant le champ libre à d’autres entreprises de biotechnologie. C’est le cas de Biocon, entreprise majeure de biotechnologie indienne, qui continue le développement d’une insuline par voie orale et pourrait arriver sur le marché indien à moyen terme, selon les résultats de son prochain essai pivot dans le diabète de type 2. De même, Oramed, une compagnie pharmaceutique israélienne spécialisée dans le développement de formulations orales, a obtenu l’accord de la FDA pour lancer un essai de phase 3 pour son insuline par voie orale aux US pour le diabète de type 2. Pourtant, la problématique du ratio prix/efficacité demeure et la compétition féroce sur le marché de l’insuline impose des stratégies de positionnement très spécifiques. Biocon prévoirait par exemple de faire enregistrer l’usage de son insuline orale en complément d’une insuline injectable, tandis qu’Oramed pourrait réserver son insuline orale, moins dosée, uniquement à des patients ayant un diabète d’une sévérité plus faible que ceux requérant une insuline injectable, dans l’optique de retarder la progression de la maladie. Si la réalité d’une insuline par voie orale semble donc pouvoir se concrétiser dans les années à venir, il ne s’agit pas encore d’une révolution qui va balayer ses formes injectables.

Novo Nordisk, actuellement en tête de la première étape

Au-delà de l’insuline, piste historique, c’est un autre traitement du diabète, le semaglutide de Novo Nordisk qui constitue un tournant dans la délivrance par voie orale de macromolécules. En effet, les résultats très positifs des essais de phase 3 de la version orale de la molécule, ont permis au groupe d’annoncer une mise sur le marché d’ici 2020 dans le diabète de type 2. Cette classe de médicaments est en effet moins soumise à la pression du prix que l’insuline, pour laquelle plusieurs biosimilaires sont disponibles, et offre d’autant plus d’intérêt commercial que son usage pourrait être étendu à d’autres pathologies telles que l’obésité. Cependant, le développement de ce produit aura demandé plus de dix ans de développement, après un rachat de licence s’élevant à environ 100 millions de dollars, sans compter les royalties ; et la technologie développée n’est a priori pas adaptable à d’autres molécules, limitant son intérêt pour le développement de tout un portefeuille de macromolécules par voie orale.

Les prochaines pistes pour la voie orale

Si ces premiers succès de développement vont conduire à la mise sur le marché prochaine de plusieurs produits, leurs caractéristiques techniques restent donc assez peu satisfaisantes. De ce fait, les laboratoires sont encore à la recherche d’une technologie efficace pour transformer leur
portefeuille de macromolécules injectables. Dans la poursuite de leur quête, les big pharmas investissent dans des technologies de rupture qu’ils captent de plus en plus en amont, avant même la preuve de concept chez l’homme, pour garantir l’exclusivité pour leurs aires thérapeutiques. Ainsi, plusieurs d’entre eux ont misé sur une solution de bio-ingénierie, initialement développée par le MIT, une pilule technologique à avaler, capable d’injecter le principe actif dans le sang au travers de la paroi intestinale grâce à des aiguilles miniatures biodégradables. Novartis en tête en 2015 puis AstraZeneca en 2016 et Shire en 2017 ont ainsi lancé des développements et tests pour délivrer oralement leurs portefeuilles de produits injectables et parfois sécuriser l’exclusivité sur leurs aires thérapeutiques de prédilection. D’autres laboratoires ont plutôt parié sur la voie biotechnologique, comme J&J qui incube une start-up développant une technologie basée sur des protéines bactériennes infectant l’intestin. Ces différentes pistes pourraient un jour venir étoffer le maigre panel de macromolécules délivrées
par voie orale.

« La vivacité de l’écosystème de recherche dans le domaine de la formulation et les interactions grandissantes entre public et privé devraient permettre de débloquer les verrous technologiques pour accélérer l’émergence de ces formes orales de nouvelles macromolécules sur le marché. » conclut Marie Rolin, Responsable de Mission au sein de la BU Santé d’Alcimed à Paris.

 

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