Santé

Chronique e-santé : Ouvrir les portes de l’IA pour la prise de décisions cliniques

Publié le 03 décembre 2020 Lecture 25 min

En dépit du contexte sanitaire international, 2020 est une année faste pour la e-santé. Alcimed met en lumière dans ses « Chroniques e-santé » les évènements majeurs qui façonneront les efforts en santé numérique pour les années à venir.

Viz.AI est l’une des nombreuses entreprises qui développent une intelligence artificielle pour la prise de décisions cliniques. Plus précisément, elle fait partie de ces centaines d’entreprises qui affirment qu’un usage pertinent des IA permettrait d’améliorer les performances des cliniciens, de simplifier le flux de patients, d’améliorer les résultats médico-économiques. Concrètement, la mission de Viz.AI est d’exploiter l’IA afin de détecter les hémorragies cérébrales et de prioriser certains patients pour éviter les accidents vasculaires cérébraux.

Mais pourquoi Viz.AI est-elle spéciale ? Depuis le 3 septembre 2020, l’algorithme développé par la société bénéficie de la couverture du système d’assurance santé américain Medicare afin d’intégrer cette nouvelle technologie dans le milieu hospitalier. C’est une première qui montre l’intérêt croissant des acteurs de santé publique pour des systèmes de prises de décisions cliniques gérés par une intelligence artificielle au point d’investir pour les prendre en charge financièrement.

Quel est le fonctionnement de cette couverture ? Quel est l’impact pour le secteur saturé de la santé digitale ?

Viz.AI et son logiciel Viz ICH pour la prise de décisions cliniques, quels avantages ?

Viz.AI est une entreprise californienne également présente en Israël. Elle développe et commercialise son logiciel Viz ICH, basé sur l’intelligence artificielle, qui permet d’identifier automatiquement les AVC dus à une hémorragie cérébrale grâce à un examen de tomodensitométrie (ou CT-Scan) sans produits de contraste. Le logiciel peut alerter les équipes spécialisées dans la prise en charge des AVC et faciliter la gestion et le flux des patients, ce qui entraîne une réduction significative du délai de traitement.

Le logiciel de prise de décisions cliniques a obtenu une autorisation De Novo par la FDA en 2018. Selon le PDG de Viz.AI, le logiciel est aujourd’hui utilisé dans environ 500 hôpitaux aux Etats-Unis.

Lorsqu’il s’agit d’AVC, « le temps, c’est du cerveau » est un adage commun qui a un impact clinique et médico-économique très important. Dans une publication de février 2020, l’entreprise a montré sur une cohorte de 43 patients une réduction moyenne de 22,5 minutes pour la durée de transfert entre le CT-Scan et le centre de prise en charge des AVC (110 minutes contre 132,5 minutes). Au-delà de l’utilisation de l’IA, la publication met en avant que les parcours de soins évoluent en éliminant l’étape de radiologie pour passer directement à l’étape de neuro-intervention, ce qui contribue également à la réduction du temps de prise en charge.

Vers un remboursement par le Centers for Medicare & Medicaid Services (CMS)

Alors que l’IA, le machine learning et le deep learning sont pleins de promesses, un soutien financier reste le meilleur, voire le seul moyen de prendre une place durable sur le marché de la Medtech aujourd’hui.

En septembre 2020, le CMS annonce une prise en charge financière de la nouvelle technologie de Viz.AI qui peut aller jusqu’à 1040$ par patient suspecté d’AVC. C’est une avancée majeure étant donné que de nombreuses solutions basées sur l’IA et la prise de décisions cliniques ne se voient pas accorder de financement, en particulier à de tels montants. Alors que l’IA, le machine learning et le deep learning sont pleins de promesses, un soutien financier reste le meilleur, voire le seul moyen de prendre une place durable sur le marché aujourd’hui. Viz.AI est allé plus loin que beaucoup d’autres acteurs : ils ne se sont pas arrêtés à démontrer un impact opérationnel (réduction du temps de prise en charge des patients), mais ont cherché à obtenir d’autres résultats probants, comme le fait que la prise en charge des patients soit moins complexe et coûteuse à prendre en charge, ce qui a convaincu le CMS d’aller de l’avant.

La première remarque à faire est que Viz.AI a soumis un business model basé sur l’abonnement, ce qui est inhabituel dans le monde de la Medtech, généralement poussé par des business models de paiement contre service. Même si l’on ne connaît pas le montant exact de l’abonnement, des documents du CMS indiquent une facture annuelle de 25 000$ pour certains hôpitaux.

Parlons maintenant des 1 000$ qui ont fait les grands titres. Ce prix correspond au maximum de demande de remboursement qu’un hôpital peut faire auprès du CMS si Viz ICH a été utilisé sur un patient « éligible ». Ainsi, si un hôpital a moins de 25 patients pour qui le logiciel est utilisé par an, il perdra de l’argent. Si un hôpital a des milliers de patients éligibles par an, il utilisera davantage le logiciel et aura au contraire obtenu un fort gain de valeur.

Dans les faits, les critères d’exclusion sont si nombreux que même dans les grands centres spécialisés dans le traitement des AVC, la probabilité d’avoir des milliers de patients éligibles à l’utilisation de Viz ICH est très faible (d’après le CMS, seulement 2 à 3% des patients sont réellement éligibles).

Là où les hôpitaux peuvent bénéficier de cette offre est qu’ils offrent à leurs patients de meilleures chances d’accéder à une thrombectomie pendant qu’il est encore temps. La rapidité de prise en charge implique un meilleur pronostic pour le patient, des économies pour le système de santé et une tarification chirurgicale avantageuse pour le centre spécialisé en AVC. La question qui subsiste est la suivante : les hôpitaux sont-ils motivés par la perspective de percevoir les fonds du NTAP (1000$ par patient qui bénéficie du Viz ICH) ou par le haut nombre de thrombectomies qui impliquent plus de remboursements chirurgicaux ?

L’utilisation d’IA hospitalières pour la prise de décisions cliniques, quels impacts sur la e-santé ?

Viz.AI a réussi à s’assurer un chiffre d’affaire suffisant à raison d’un tarif d’environ 25 000$ par centre médical équipé, ce qui constitue déjà un exploit dans l’état actuel du marché des IA hospitalières pour la prise de décisions cliniques et du business model de ces logiciels.

Ce que montre néanmoins ce cas d’usage est que les mécanismes de rémunération permettant une prise en charge des solutions digitales intra-hospitalières sont extrêmement complexes. Malgré le fait que ces IA, et plus globalement les technologies digitales, soutiennent le concept de système de santé basé sur la valeur*, cela ne suffit pas à ce qu’elles soient remboursées. Une révision globale de la manière dont nous payons pour la santé serait nécessaire et une telle révision devrait prendre en compte la haute versatilité des systèmes de santé dans le monde. Est-ce qu’un tel système de paiement serait possible ailleurs ?

Si Viz.AI ouvre la voie pour des innovations futures dans l’environnement des IA cliniques, d’autres business models innovants sont plus que nécessaires pour que cet environnement de marché se développe de manière pérenne avec l’aval des professionnels et des payeurs. Ce sujet vous intéresse ? Découvrez nos réalisations de conseil en business models dans le secteur de la santé.

*En anglais « Value Based Healthcare » (VBHC), un concept dans lequel les prestataires de santé (médecins, hôpitaux…) sont rémunérés en fonction du niveau de santé des patients après les soins.


A propos de l’auteur

Amélie, Consultante dans l’équipe Sciences de la Vie d’Alcimed en France
Benjamin
, Grand Explorateur Santé Numérique dans l’équipe Santé d’Alcimed en France

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