Une dynamique déjà engagée dans les appels à projets
Face à l’urgence climatique, la recherche scientifique doit elle aussi réduire son empreinte environnementale. Pour visualiser concrètement où se situe la recherche en matière d’émissions, le CNRS établit son bilan carbone à 14,7 tonnes équivalent CO2 par agent. Pour respecter les accords de Paris, qui visent une trajectoire à +1,5°C/+2°C par rapport à l’ère préindustrielle, il sera nécessaire d’atteindre 2 tonnes équivalent CO2 par personne de la société civile à l’horizon 2050.
Pour engager les chercheurs dans la transition écologique, France 2030 impulse la dynamique et commence à intégrer des critères environnementaux dans les appels à projets structurants :
- Dans le cadre des appels à projet ANR et plus particulièrement des PEPR3, les appels à projet en cours inscrivent désormais des éléments d’impact environnemental et de durabilité au regard des bénéfices/risques attendus.
- L’appel à projet BPI Challenge Prévention « Démontrer la valeur des innovations en vie réelle » comporte 4 vagues s’étendant sur la période 2024 – 2028. Ici, il est explicitement mentionné que les projets nocifs pour l’environnement seront exclus, et que les bénéficiaires du financement devront communiquer sur l’impact environnemental tout au long de la réalisation du projet.
- Au niveau des RHU, il n’y a pour l’instant pas eu de critères explicites mentionnés lors des précédentes vagues d’appel à projet, mais nous anticipons une forte probabilité d’évolution en ce sens, dans le sillage des nouveaux critères environnementaux mentionnés dans les derniers appels à projet PEPR et BPI Challenge Prévention.
Anticiper ces exigences, c’est se donner les moyens de tester, en amont, des méthodologies et des solutions de décarbonation cohérentes avec les objectifs du projet proposé.
Décarboner la recherche scientifique, par où commencer ?
Pour déterminer la pertinence des actions environnementales à mener, il est nécessaire de comprendre les ordres de grandeur d’émissions de gaz à effet de serre qui entrent en jeu. La réalisation d’un bilan carbone du projet ou des activités clés permet d’identifier les postes les plus émetteurs afin de définir par la suite les leviers d’action associés.
Ces postes d’émissions peuvent se révéler très différents en fonction des thématiques de recherche, mais on retrouve principalement (du plus polluant au moins polluant) :
- Les achats (dont matériel informatique) : en moyenne 41% de l’empreinte carbone d’un laboratoire de recherche.
- Les déplacements, qui incluent les déplacements professionnels et domicile-travail : en moyenne 27% de l’empreinte carbone d’un laboratoire de recherche.
- La consommation d’énergie (électricité, fonctionnement des équipements) : en moyenne 19% de l’empreinte carbone d’un laboratoire de recherche.
- Les bâtiments : en moyenne 6% de l’empreinte carbone d’un laboratoire de recherche.
L’établissement d’un premier bilan carbone peut se révéler chronophage et les données sont parfois peu accessibles ou peu exploitables. Pour faciliter cette estimation, de nombreux outils gratuits et adaptés sont à disposition des chercheurs :
- L’outil Base Empreinte développé par l’ADEME est la base de données publiques de facteurs d’émissions. Le « Bilan Produit » permet de réaliser simplement une ACV pour évaluer l’empreinte environnementale d’un produit : émissions de CO2 (quantifiés en kgCO2eq), impact sur la couche d’ozone (mesuré en kg CFC-11 équivalent), pollution de l’air par les Nox ou COV, acidification des sols et de l’eau, consommation d’eau, eutrophisation, effets potentiels toxiques sur la santé humaine ou les écosystèmes, etc.
- Le collectif « Labos 1point5 » a développé plusieurs outils de mesure d’empreinte carbone et de scénarios de réduction à destination des laboratoires de recherche, en ciblant les postes spécifiques d’émissions carbone et à partir d’un benchmark effectué sur de multiples laboratoires de recherche nationaux et internationaux.
- Pour les actes de soin plus spécifiquement, l’APHP propose en open access son outil Carebone, qui quantifie l’empreinte carbone des produits de santé, des actes de soin et des parcours patients. Cet outil d’aide à la prise de décision vise à mieux arbitrer sur le plan écologique entre deux parcours de soin, à l’aide de chiffres clairs. Grâce à son approche en analyse de cycle de vie, Carebone a déjà permis d’évaluer l’impact écologique de différentes stratégies et d’orienter le choix vers des produits plus vertueux, sur une vaste diversité de sujets comme l’administration de médicaments (orale vs intraveineuse), l’usage de matériel réutilisable ou encore les solutions de désinfection des endoscopes.
Découvrez comment notre équipe peut vous aider à décarboner vos activités >
3 étapes pour intégrer la décarbonation dans les projets de recherche
A la suite des premiers constats chiffrés que vous aurez établi, nous proposons une méthodologie en 3 étapes pour piloter le projet avec objectif de réduction de l’impact environnemental :
Étape n°1 : Définir des indicateurs de suivi
Ces indicateurs de suivi sont à adapter en fonction des postes d’émissions carbone principaux qui sont arrivés en tête à l’étape précédente. Quelques exemples pertinents :
- Sur la fonction achat : le % d’achats responsables / recyclables, le % de commandes labellisées responsables (fournisseurs certifiés, écolabels).
- A propos des équipements: le % de matériel reconditionné VS neuf, le taux d’usage des équipements mutualisés, la durée de vie moyenne des équipements.
- Sur la conception des protocoles expérimentaux ou essais cliniques : la prise en compte de l’éco-conception dès le début de la démarche, en s’intéressant au nombre d’échantillons ou de tests redondants, ou au nombre de kilomètres parcouru pour le matériel et les échantillons.
- Sur le volet déplacement : le nombre de km parcouru en avion VS parcouru via des mobilités douces, le nombre de km parcourus en avion quand une alternative en train est possible.
- Plus spécifiquement pour les essais cliniques, le type de moyen de transport et le nombre de kilomètres parcouru par les patients participant à l’essai clinique, le nombre de visites physiques par patient, le % de visites transformées en visites virtuelles.
- Sur le volet énergie : le % de la consommation couverte par des énergies renouvelables, la consommation électrique des équipements scientifiques, le nombre d’équipements labellisés « éco-énergie », le taux d’extinction des équipements. Concernant l’utilisation de gaz réfrigérant : le type de gaz utilisé accompagné de son poids ou volume annuel, le nombre de fuites par an.
- Sur le volet bâtiment : la classe énergétique des bâtiments, la température de chauffage/climatisation définie.
- A propos de la gestion des déchets : le poids ou volume mensuel de déchets plastiques, le taux de tri et de recyclage.
Étape n°2 : Mettre en place des bonnes pratiques de réduction d’empreinte carbone
Une fois les indicateurs de suivi définis, la réduction des émissions carbone devient un objectif opérationnel. Les chercheurs peuvent engager un travail de réduction des émissions associées en activant différents leviers. Nous vous proposons ici une sélection issue de pratiques ayant démontré leur pertinence.
- Design des protocoles : réduire ou centraliser le nombre d’expériences (mutualisation de données entre équipes, plateformes centralisées pour les modèles animaux ou imageries), développer les modélisations in silico ou in vitro (organoïdes, organ-on-chip) comme substitution partielle de l’in vivo (approche 3R : Replace, Reduce, Refine).
- Énergie : réaliser un audit énergétique du laboratoire, notamment au niveau de la gestion du froid qui est particulièrement énergivore.
- Utilisation de gaz à effet de serre : substituer les gaz anesthésiques en recherche animale par des gaz moins émetteurs, contrôler les fuites de gaz réfrigérants et de CO₂ dans les incubateurs.
- Gestion des déchets : remplacer le plastique à usage unique par du plastique autoclavable, réutiliser les tubes en plastique grâce à une décontamination chimique et au lavage dans un autoclave, remplacer la méthode de numération par boîte de Petri par l’utilisation d’une plaque de 96 puits.
Étape n°3 : Intégrer la dimension environnementale dans le pilotage du projet pour pérenniser la démarche
Pour que la décarbonation ne reste pas un exercice ponctuel, les chercheurs doivent structurer une approche dans la durée, afin de mesurer les progrès et d’ajuster les actions en fonction des résultats. Quelques bonnes pratiques identifiées :
- Nommer un référent ou un groupe de travail spécifique “transition écologique”
- Prévoir un plan d’action évolutif avec des revues régulières
- Documenter les actions pour capitaliser et mutualiser les retours d’expérience entre les différentes équipes
- Impliquer les équipes dès le montage de projet
La recherche scientifique de demain doit savoir aller au-delà des résultats scientifiques et évaluer de manière holistique son impact sur notre société, ce qui passe aujourd’hui par la prise en compte de son empreinte environnementale. Les projets les plus innovants de demain ne seront pas seulement les plus performants scientifiquement, mais aussi les plus responsables. La décarbonation ne doit alors pas être vue comme une contrainte mais comme une opportunité pour repenser les méthodes, encourager l’expérimentation, et faire émerger de nouvelles formes d’excellence.
Chercheurs, établissements, financeurs : tous ont un rôle à jouer pour intégrer cette exigence dans les pratiques de recherche. En anticipant dès aujourd’hui les critères environnementaux à venir, les porteurs de projets ne se contentent pas de répondre à un cadre : ils ouvrent la voie à une science plus durable, plus sobre, et toujours plus innovante.
Alcimed peut vous aider à explorer le sujet de la décarbonation au sein de vos activités. N’hésitez pas à contacter notre équipe !
À propos de l’auteur,
Annabelle, Consultante au sein de l’équipe Innovation et Politiques Publiques d’Alcimed en France.