Santé

Femmes et diagnostics médicaux : quand le genre retarde les soins

Publié le 26 mai 2025 Lecture 25 min

Longtemps reléguées au second plan, les inégalités femmes-hommes en matière d’accès aux soins sont de plus en plus reconnues. La santé des femmes, et plus spécifiquement la santé gynécologique, fait aujourd’hui l’objet de nombreuses initiatives, pourtant, un pan encore peu adressé de ces inégalités persiste : celui du diagnostic. Dans de nombreuses pathologies, les femmes reçoivent un diagnostic plus tardif que les hommes, voire ne sont pas diagnostiquées du tout. Leurs symptômes sont sous-estimés, mal interprétés, ou considérés comme “atypiques”. Malgré une reconnaissance croissante de ces disparités, les actions concrètes restent limitées et ne s’inscrivent pas dans une réponse systémique. Cette inégalité face au diagnostic médical représente un véritable enjeu de santé publique : perte de chance, retards de prise en charge, aggravation des symptômes, errance médicale, autant de conséquences évitables. Dans cet article, Alcimed explore les racines de ces retards de diagnostic et identifie les leviers pour y remédier.

Quand les symptômes diffèrent : à pathologie identique, des signaux féminins méconnus

Certaines pathologies ne se manifestent pas de la même manière selon le sexe. Pourtant, la médecine s’est historiquement construite autour d’un modèle masculin, considéré comme la norme. Le genre féminin, longtemps sous-représenté dans les études cliniques et peu pris en compte dans les protocoles de recherche, subit encore aujourd’hui les effets d’une approche unisexe. Résultat : des symptômes spécifiques aux femmes sont mal connus à la fois des patientes et des médecins et donc sous-évalués, voire écartés dans le processus du diagnostic.

Le cas de l’infarctus du myocarde est particulièrement éloquent : souvent associé à une douleur thoracique intense, il peut aussi se traduire chez la femme par des nausées, une fatigue intense, un essoufflement ou des douleurs diffuses. Ces signaux d’alerte, peu connus du grand public et encore insuffisamment intégrés dans les réflexes médicaux sont ignorés par 8 femmes sur 101Arrêt cardiaque : les femmes ont deux fois moins de chance d’y survivre. (n.d.). (C) 2025 AXA Group Operations Spain S.A. All Rights Reserved. https://www.axaprevention.fr/fr/article/arret-cardiaque-les-femmes-ont-deux-fois-moins-de-chance-de-survivre en France et contribuent à un retard de prise en charge qui explique, en partie, la mortalité hospitalière plus élevée chez les femmes (9,6%) que chez les hommes (3,9%)2Académie nationale de médecine | L’Inégalité de prise en charge de l’infarctus du myocarde chez les
femmes en France. https://www.academie-medecine.fr/wp-content/uploads/2025/02/25.1.14-Rapport-Infarctus-myocarde-Femme-APRES-VOTE.pdf
.

Même symptômes, lectures différentes : 3 biais de genre à décrypter

Biais médicaux : quand le genre influence l’interprétation des symptômes

Au-delà des différences biologiques entre les sexes, ce sont aussi les représentations sociales du féminin et du masculin – autrement dit, le genre – qui façonnent la manière dont les symptômes sont perçus et interprétés par les professionnels de santé.

Dans son rapport Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique (2020)3HCE | Prendre en compte le sexe et le genre pour mieux soigner : un enjeu de santé publique. https://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_sexe_genre_soigner-v9.pdf, le Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes alerte sur l’impact des stéréotypes de genre dans la pratique médicale : des biais tenaces qui peuvent orienter à tort un diagnostic, le retarder, voire l’empêcher, affectant aussi bien les femmes que les hommes.

Prenons l’exemple des maladies cardiovasculaires : elles restent perçues comme des pathologies « masculines » dans l’imaginaire collectif, typiquement associées à l’image d’un quinquagénaire bedonnant, fumeur et stressé. Ainsi, à symptômes identiques, une femme qui se plaint d’oppression dans la poitrine a trois fois plus de chances de se voir prescrire des anxiolytiques qu’un homme, pour qui, le même tableau clinique déclenchera plus souvent une orientation vers un cardiologue4Klinge, I. (2010). Innovative changes in biomedicine: integration of sex and gender aspects in research and clinical practice. In VS Verlag für Sozialwissenschaften eBooks (pp. 231–242). https://doi.org/10.1007/978-3-531-92501-1_17.

Ces inégalités ne sont pas uniquement défavorables aux femmes, à l’inverse, certaines pathologies sont perçues comme féminines comme la dépression ou l’ostéoporose et sont moins diagnostiquées chez les hommes.

Ces biais – souvent inconscients – trouvent en partie leur origine dans la formation des professionnels de santé, qui reste encore largement centrée sur des modèles masculins ou neutres, avec peu d’outils pour déconstruire les représentations genrées. Selon une étude publiée dans The Lancet en 2019, moins de 25 % des facultés de médecine intègrent des modules sur les différences liées au sexe et au genre dans leur programme5Thande, N. K., Wang, M., Curlin, K., Dalvie, N., & Mazure, C. M. (2019). The influence of sex and gender on health: How much is being taught in medical school curricula? Journal of Women S Health, 28(12), 1748–1754. https://doi.org/10.1089/jwh.2018.7229. Ce manque de formation alimente une boucle de méconnaissance et de stéréotypage, aux conséquences très concrètes pour les patients.


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Biais sociaux : quand l’entourage retarde la première consultation

Les biais de genre, liés aux représentations sociales des filles et des femmes, ne se limitent pas au milieu médical : ils s’ancrent dès le cercle familial et influencent les premières perceptions des comportements des enfants. Ainsi, dans les troubles du spectre autistique, chez les jeunes enfants, le retrait sur soi et le défaut d’interactions sociales seront plus facilement considérés chez une fille comme de la réserve et de la timidité. Ces mêmes attitudes seront davantage interprétées comme un indice de trouble de communication chez les garçons, car en décalage avec les représentations sociales des comportements des garçons censés être plus expansifs et dynamiques. Les parents et les enseignants seront donc plus susceptibles de solliciter une consultation médicale pour les garçons que pour les filles.

Biais des patientes : quand les femmes minimisent leurs symptômes

Enfin, le retard de diagnostic est parfois lié aux patientes elles-mêmes, 70 % des femmes6AXA LIVE – 81% des femmes font passer la santé des autres avant la leur et s’oublient. Elles sont 42% à ne jamais surveiller leur cœur alors que les maladies cardiovasculaires tuent chaque jour 200 d’entre elles. (n.d.). https://axalive.fr/article/axa-prevention-sante-femmes-cardiovasculaire déclarent ne consulter un médecin que lorsqu’elles n’ont plus d’autre choix, souvent par souci de prioriser la santé de leurs proches. Cette tendance à retarder les consultation est aussi liée à une forme de minimisation des symptômes. Comme les femmes sont susceptibles de ressentir des douleurs dites « normales » (dysménorrhées, douleur de l’accouchement) au cours de leur vie, celles-ci peuvent minimiser les douleurs thoraciques. Ainsi, une étude de la European Society of Cardiology a montré que les femmes mettent en moyenne 37 minutes de plus que les hommes7European Society of Cardiology | Women having a heart attack wait longer than men to get help. https://medicalxpress.com/news/2018-12-women-heart-longer-men.html?utm_source=TrendMD&utm_medium=cpc&utm_campaign=MedicalXpress_TrendMD_1 [11] https://www.heidi.news/sante/la-maladie-d-alzheimer-est-souvent-mal-ou-trop-tardivement-diagnostiquee-chez-les-femmes avant d’appeler les secours en cas de crise cardiaque.

Enfin, le retard de diagnostic peut également être lié à une dissimulation des symptômes. Dans le cas de la maladie d’Alzheimer, les femmes, bénéficiant généralement de meilleures capacités linguistiques, parviennent à masquer plus longtemps les premiers signes de la maladie. Ce phénomène, associé à une moindre prise en compte de leurs plaintes par certains médecins, retarde leur diagnostic et la mise en place d’une prise en charge adaptée. Ce facteur est aussi présent dans le diagnostic de l’autisme chez la femme. Contrairement aux hommes autistes, elles développent souvent des techniques d’imitation et d’adaptation sociale plus avancées, leur permettant de masquer leurs difficultés. Cette capacité à s’intégrer en apparence entraîne toutefois une fatigue psychologique importante et peut retarder, voire empêcher, la reconnaissance de leur condition. En conséquence, leurs difficultés, bien que réelles et handicapantes, sont souvent perçues comme moins marquées, conduisant à un risque accru de sous-diagnostic ou de diagnostics erronés.

La lutte contre les inégalités de diagnostic entre hommes et femmes constitue un enjeu majeur de santé publique. Il ne s’agit pas de pointer des responsabilités individuelles, mais de reconnaître les mécanismes systémiques à l’œuvre, pour mieux les déconstruire.

Face à cet enjeu, des premières pistes ont déjà été identifiées : renforcer la formation initiale et continue des professionnels de santé sur les différences liées au sexe et au genre, produire davantage de données cliniques sexuées (avec l’aide de l’IA), encourager l’écoute active des patientes, ou encore sensibiliser le grand public à la diversité des symptômes.

Notre équipe spécialisée en santé peut vous accompagner à explorer ces pistes, en capitalisant notamment sur notre savoir-faire en investigation des parcours patients et notre expérience en santé des femmes. N’hésitez pas à contacter notre équipe !


À propos de l’auteur,

Margot, consultante au sein de l’équipe santé d’Alcimed en France.

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