S’appuyer sur l’Union Européenne pour structurer la filière de recyclage des batteries
L’Union européenne se positionne comme un acteur central et transversal dans la consolidation de la filière batterie. Son rôle se décline sur deux axes majeurs :
- Un rôle planificateur : L’UE doit fixer un cap clair pour le secteur en bâtissant, en concertation avec les industriels, une feuille de route ambitieuse et lisible. Il s’agit de rassurer les investisseurs, de guider les stratégies entrepreneuriales, de structurer l’écosystème de compétences, et de soutenir l’émergence de start-up innovantes.
L’Union Européenne a déjà posé les premières bases d’un cadre réglementaire facilitateur pour la filière à travers la nouvelle Battery Regulation et le Critical Raw Materials Act. Le Critical Raw Materials Act, qui vise à sécuriser l’approvisionnement européen en métaux stratégiques fixe par exemple comme objectif que 25% des besoins annuels de l’UE soient issus du recyclage. La Battery Regulation établis des normes communes sur l’empreinte environnementale des batteries (certains produits sont interdits, des taux d’utilisation de matériaux recyclés sont fixés…) et met en place un « Passeport batterie » pour garantir la traçabilité des matériaux sur la chaine de valeur.
Le futur Circular Economy Act, attendue en 2026 et qui révise notamment la directive relative aux déchets d’équipements électriques et électroniques (DEEE), devra aller plus loin : prioriser les projets de récupération de matière, restreindre les exportations de déchets de batteries pour limiter la fuite de la black mass hors d’Europe tout en fluidifiant les transferts intra-européens. Une simplification des procédures d’autorisation d’implantation des sites est également attendue pour accélérer les projets.
- Un rôle de stimulateur de la demande : Au-delà de soutenir l’offre, l’UE joue également un rôle clé dans la stimulation de la demande, comme avec le règlement européen du 19 avril 2023 interdisant la vente de véhicules à moteur thermique neufs à partir de 2035. Pour ne pas enrayer la demande pour les véhicules électriques ni constructeurs européens, actuellement en retard par rapport aux asiatiques, l’UE devra garder le cap de cette règlementation tout en jouant sur sa politique commerciale.
- Un rôle de soutien financier : L’UE agit comme levier d’investissement, à la fois direct et indirect. Elle mobilise des aides à la R&D, des subventions à l’innovation et des incitations fiscales. Récemment, six projets de recyclage des batteries dont celui d’Orano en France ont été déclarés comme stratégique par la Commission européenne dans le cadre du Critical Raw Materials Act et ont reçu des subventions de plusieurs millions d’euros. Au-delà du financement direct, l’UE joue également un rôle catalyseur auprès des investisseurs institutionnels, en permettant de réduire le risque perçu et déverrouiller les financements privés. La Banque Européenne d’Investissements pourrait notamment fournir des garanties et des contre-garanties aux banques commerciales qui prêtent aux acteurs européens des maillons les moins établis dans chaine de valeur de batteries.
Repenser le recyclage dans une logique de filière
Les enjeux et les défis évoqués auxquels sont confrontés les recycleurs, détaillés dans notre premier et second article sur le sujet, dépassent le périmètre du recyclage : ce sont des problématiques systémiques pour l’ensemble de la filière batterie Européenne qui excèdent les capacités d’action individuelles de chacun des acteurs. La reconnaissance de cette interdépendance et le dépassement des logiques individuelles cloisonnées est nécessaire pour instaurer une collaboration structurante entre les différentes parties prenantes.
Par exemple, les producteurs de batterie ont un rôle à jouer pour réduire les risques liés aux projets de recyclage, en permettant de sécuriser l’approvisionnement en rebuts de batterie dont les recycleurs ont besoin au cours-terme pour leur mise à l’échelle. Seulement alors pourront-ils émerger comme des partenaires crédibles pour la gestion des déchets sur le long-terme et répondre ainsi en retour aux besoins des Gigafactories. De la même manière, les producteurs de matériaux de batteries ont besoin d’engagements en amont – présence de recycleurs – comme en aval – producteurs de batteries solides – pour engager des investissements. La collaboration entre les différents acteurs du recyclage pour organiser la gestion de la collecte des batteries en fin de vie de manière distribuée est un autre exemple.
Des initiatives comme la European Battery Alliance, initiée par la Commission Européenne visent à renforcer la coopération intra-filière batterie. Plusieurs logiques collaboratives sont à explorer pour poursuivre et amplifier les dynamiques :
- Partenariats avec les producteurs de batteries et/ou les constructeurs automobiles, pour anticiper les flux et simplifier la logistique, contractualiser l’accès à des volumes constants de déchets et concevoir un recyclage « design-to-reuse ».
- Modèles d’intégration partagée (co-investissement, co-usine, JV), permettant de mutualiser les risques et d’aligner les intérêts économiques sur le long terme.
Innover pour renforcer la compétitivité européenne
Les innovations de process mais également de modèles économiques sont des leviers pertinents pour rendre la filière européenne plus compétitive. Les innovations de process visent à optimiser la qualité du recyclage ou à réduire les consommations énergétiques et l’usage de réactifs chimiques. Aujourd’hui, les meilleures technologies d’hydrométallurgie permettent de récupérer 95% du nickel et du cobalt, mais une marge de progression importante existe pour d’autres métaux valorisables, comme le lithium et le graphite. Cela pourrait permettre de faire baisser les coûts et donc de rapprocher le prix des métaux recyclée de celui des métaux issus des mines. En parallèle, les acteurs du recyclage ont intérêt à concevoir de nouveaux modèles économiques pour tirer leur épingle du jeu et développer leur résilience dans un contexte d’incertitudes.
Innovations de process
- L’optimisation du pré-traitement : des techniques de démontage plus efficaces et qui limitent la dégradation des composants facilitent leur réutilisation lors des étapes avales de raffinage et de manière globale la capacité de récupérer davantage de composants. Les innovations sur ces procédés visent ainsi réduire le besoin en nouveaux matériaux pour construire de nouvelles batteries. Plusieurs exemples peuvent être cités :
- Le démontage robotisé des batteries usagées présente un fort potentiel en matière d’efficacité et de sécurité, en automatisant les opérations tout en limitant l’exposition humaine aux substances toxiques. Toutefois, le manque de standardisation dans la conception de batteries complique la mise à l’échelle de cette méthode. L’IA est une piste pour l’adaptabilité du process à la variabilité des composants et des assemblages des batteries.
- Le process de désassemblage sans broyage, développé par le CEA-Liten et Orano qui dissocie les métaux actifs du graphite, en vue de réutiliser ce dernier.
- De nouvelles méthodes d’extraction des métaux : de nouvelle approches complémentaires ou alternatives à l’hydrométallurgie et la pyrométallurgie visent à réduire la consommation énergétique et la génération des déchets.
- Une variante de l’hydrométallurgie, développée par la start-up industrielle Mecaware, qui permet d’extraire sélectivement les métaux via du CO2 comme agent précipitant plutôt que de l’acide sulfurique, évitant ainsi la génération de sulfates, effluent nocifs et contraignants.
- La biolixiviation est une méthode de récupération des métaux alternative par voie biologique. Technique déjà éprouvée par l’industrie minière, des travaux sont en cours en laboratoire, notamment au laboratoire DEEP de l’INSA Lyon, pour l’adapter sur le gisement des batteries de voitures électriques, avant de pouvoir envisager la mise à l’échelle et création de filière.
- Le recyclage direct est une alternative émergente à l’hydrométallurgie et pyrométallurgie basée sur la réutilisation des matériaux de cathode sans transformation. Il s’agit de nettoyer et de régénérer les matériaux plutôt que de les dissoudre. Bien que prometteuse, cette voie présente encore un TRL bas, avec des perspectives de démonstrateur et de mise à l’échelle à confirmer.
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Innovations de modèle économique
- Construire un business model robuste dans un contexte technologique mouvant : la valeur apportée par un acteur du recyclage dépend de plusieurs dimensions interdépendantes :
- Positionnement dans la chaîne : comme détaillé dans le point ci-dessous, le recycleur peut se positionner comme simple prestataire de traitement, coproducteur de matière secondaire, ou partenaire industriel intégré à l’amont (raffinage, production de CAM/pCAM).
- Type de revenus : plusieurs sources de revenus sont envisageables : facturation à la tonne traitée (logique de service), revente de matières premières secondaires (logique de commodité), contrats d’approvisionnement avec des partenaires industriels (logique B2B sécurisée).
- Propriété de la matière : le recycleur peut acquérir des batteries en fin de vie, travailler pour un donneur d’ordre ou s’inscrire dans un modèle hybride, avec par exemple des mécanismes de rétrocession.
Les recycleurs doivent déterminer une combinaison stratégique de ces différents paramètres afin de construire une ou plusieurs propositions de valeur en réponse aux besoins de leurs clients/partenaires.
- Déterminer un niveau d’intégration verticale adapté : une intégration verticale peut permettre de différencier et renforcer l’offre des acteurs du recyclage. L’enjeu est de déterminer quel niveau d’intégration est soutenable économiquement selon la taille de l’acteur, ses sources d’approvisionnement et ses débouchés commerciaux mais aussi de la nature de ses partenaires potentiels. Trois niveaux sont envisageables :
- Une intégration en amont avec les acteurs de collecte et logistique peut être un moyen de sécuriser son approvisionnement mais reste peu rémunérateur.
- Une intégration au cœur de la chaîne entre les acteurs de prétraitement et de séparation des métaux peut renforcer l’offre cœur de la création de valeur mais position intermédiaire risquée.
- Une intégration en aval dans les chaînes de production de CAM/pCAM, qui permet une désintermédiation mais s’expose à plusieurs risques, dont celui de limiter les débouchés commerciaux.
Une stratégie d’intégration inadaptée peut mettre à défaut les recycleurs, comme Northvolt, dont la tentative d’intégrer à la fois amont et aval a contribué à la faillite de l’entreprise en début d’année.
- S’adapter à un univers technologique évolutif : face à la multiplication des chimies (NMC, LFP, sodium-ion) et la diversification des formats (pouch, prismatique, cylindrique) un modèle économique robuste repose sur sa capacité d’adaptation ou sur une spécialisation mesurée :
- Les recycleurs doivent intégrer une logique de polyvalence technologique, en inventant des outils capables de traiter des chimies hétérogènes sans réinvestissements structurels lourds à chaque changement. Cela suppose une veille technologique continue, des investissements dans la R&D de procédés flexibles, et de penser des stratégies modulaires ou multilignes.
- La spécialisation sur un type de batterie est possible dans la mesure où le gisement en rebuts ou batteries en fin de vie s’avère assez conséquent pour permettre l’industrialisation. La stratégie devra alors se baser sur une étude précise de l’offre et de la concurrence, car un déséquilibre remettrait en question la viabilité économique du projet.
Les acteurs du recyclage disposent de plusieurs leviers pour établir une filière batterie européenne circulaire et indépendante :
- Influencer en portant la voix de l’industrie à l’Union Européenne, qui par sa triple action – vision stratégique, levier financier et régulation ciblée – joue un rôle d’architecte pour une filière batterie durable et compétitive ;
- Poursuivre et amplifier les dynamiques de collaboration intra-filière avec les différents acteurs de l’écosystème ;
- Définir une stratégie pour se différentier et établir une position solide vis-à-vis des leaders asiatiques, en ciblant par exemple des niches ou en approche circulaire plutôt que de tenter de les rattraper. L’innovation, tant sur les process de pré-traitement et d’extraction des métaux que sur la construction de business models robustes et adaptés au contexte européen est clé pour y parvenir.
Qu’il s’agisse de projection dans un contexte incertain, d’identifier les technologies de recyclage émergente, de sélectionner le bon partenaire ou de construire un modèle économique innovant, Alcimed peut vous accompagner pour explorer ces questions ! N’hésitez pas à contacter notre équipe.
À propos de l’auteur,
Juliette, Consultante au sein de l’équipe Énergie-Environnement-Mobilité d’Alcimed en France.